Récit de lecteur en Essonne : le confinement à Arpajon ce mardi 17 mars

Arpajon. Place du Marché. Mardi 17 mars 2020. Confiner sans confiner.

La Place du Marché grouille de piétons ce matin. Les trois agences immobilières, les deux bistrots-restaurants, les deux opticiens, les deux bijouteries, les deux coiffeurs, le marchand de vins, le chocolatier, le nouveau restaurant, la teinturerie, le magasin de vêtements pour enfants et celui de cadeaux ont porte close, la banque également. Une longue file d’attente s’étire devant le café-tabac. Une petite file d’attente, cette fois respectant les distances recommandées, attend à la porte du magasin de cartouches d’imprimantes et de rames de papier. Les clients sortent du supermarché communautaire lourdement chargés : une femme ne parvient pas à tirer vers sa voiture deux sacs de
pomme de terre particulièrement encombrants : un homme l’aide. Un autre homme sort de la boulangerie avec probablement plus d’une dizaine de « traditions », puisque la vendeuse le répète en boucle « aujourd’hui il n’y aura pas de baguette ». Le bijoutier soulève à moitié son rideau de fer, s’introduit et repart peu après. L’opticien fait de même, mais reste plus longtemps. Un camion de livraison klaxonne longuement, pour alerter et faire dégager l’aire de stationnement : il entreprend ensuite son déchargement de vivres vers le petit super marché, à l’aide d’un engin porteur de palettes. La boucherie est vide de clients. Vers midi et demie La queue s’accentue à la boulangerie : les sandwiches minutes intéressent. Le personnel porte des gants. Quelqu’un, harnaché d’un gilet orange, longe les immeubles et filme les murs avec une caméra ; que fait-il ? C’est parait-il pour disposer d’un état des lieux avant les travaux : quels travaux ? Le bruit de la rue emporte la réponse.

Peu à peu les voitures quittent la place. Il en restera une bonne vingtaine dont quelques utilitaires, ainsi que trois poubelles pleines de cartons : elles sont garées le long de la Halle. Pourtant les éboueurs ont œuvré ce matin. Des piétons, solitaires, continuent à arpenter le pavé, parfois troublés par une bicyclette ou une trottinette électrique. En milieu d’après-midi, un véhicule de la Police municipale surgit de la rue Raspail, traverse et repart par la rue Victor Hugo. Une motocyclette fait vrombir ses quatre cylindres et s’arrête quelque part. Un groupe de trois seniors se forme un instant le long des toilettes publiques, probablement des personnes d’origine turque, puis se disperse. Le bruit d’un ouvrier frappant du matériel bat la mesure : où travaille-t-il ? Un cyclomoteur passe tout à coup et disparait rue Guinchard : la Grande Rue en profitera bientôt. Les piétons solitaires continuent leurs balades. Les deux pharmacies ne désemplissent pas. Toutes les 3 ou 4 minutes une voiture passe. Où était l’agent-verbalisateur aujourd’hui ? Vers 18 heures, une conversation monte de la rue : ils sont au moins d’eux, ou quelqu’un parle dans un portable. Les utilitaires ont disparu du stationnement. Deux femmes se garent en double file –ignorant les dizaines de places disponibles- et se rendent à la boulangerie. Un automobiliste s’arrête devant une entrée de garage, actionne ses feux de détresse et emboîte les pas des deux contrevenantes. Les lumières s’allument sous la Halle,
et soulignent les charpentes séculaires. La plupart des magasins sont fermés, à l’exception des deux pharmacies et de la boulangerie pour quelques minutes. À la banque, le personnel de ménage s’active. Derrière les rideaux des habitations de la place, au 1er ou au 2ème étage des immeubles, le confinement nocturne s’organise.

Confinement avez-vous dit ? Qui s’en souviendra ? Comme personne ne se souvient de cette journée d’août 1944, sur cette place ; l’occupant allemand s’était replié, les forces alliées n’étaient pas encore arrivées (le détachement Leclerc avait contourné le centre-ville et filé vers Paris) ; l’on se terrait dans les maisons, alimentant les animaux en arrière-cour. Personne ne sortait. Le silence régnait, un silence anormal. État de guerre, guerre sanitaire a dit le Président. Peut-être faut-il ajouter guerre contre nous-même, afin de sauver d’autres vies. Saurons-nous encore le faire ?

Texte envoyé par Milian Méloua. Vous pouvez nous envoyer vos récits de la vie durant le confinement par mail à [email protected]

Teddy Vaury
Teddy Vaury
Teddy Vaury est rédacteur en chef du Républicain de l'Essonne. Il travaille au sein de l'hebdomadaire départemental depuis 2006.