Du 3 au 6 mai, le tribunal a entendu les différents experts mandatés durant l’enquête. Alors que le témoin missionné par la SNCF affirme que les boulons ne seraient tombés que quelques heures avant le drame, d’autres rapports mettent en évidence « une rupture par fatigue et la propagation d’une fissure ».
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Est-ce que l’éclisse qui s’est retournée le 12 juillet 2013 sur les voies de la gare de Brétigny-sur-Orge, causant le déraillement du train Intercités 3657 et la mort de sept personnes, était-elle correctement fixée ? Une question à laquelle une ribambelle d’experts a tenté de répondre entre le 3 et 6 mai devant le tribunal judiciaire d’Evry-Courcouronnes. Car tout l’enjeu du procès réside dans les détails : les boulons de l’éclisse sont-ils tombés le jour de la catastrophe ou bien avant ? Et c’est là que les conclusions divergent.
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D’un côté, Christian A., missionné par la SNCF à l’époque des faits et interrogé le mercredi 4 mai, affirme que les boulons étaient bien en place et qu’ils auraient cédé subitement quelques heures avant le déraillement. Une version qui dédouane alors les prévenus, qui comparaissent pour homicide involontaire. De l’autre, des experts démontrent « un processus long de dégradation ». Ils auraient observé une « rupture par fatigue » de la pièce et la « propagation d’une fissure » sur l’éclisse. Cela signifie que cette zone a été fortement sollicitée et qu’elle a enduré des efforts importants. A noter que sur certaines pièces, les experts ont relevé une fatigue en deux temps : des « petites lignes d’arrêt », soit des marques de brillance dans les trous et sur les vis, attestent une certaine liberté de mouvement. La pièce aurait donc bougé et frappé contre une autre, ce qui a créé ces traces. Il apparaît que les boulons ont été resserrés à un moment donné, puis qu’ils se sont à nouveau relâchés. « C’est comme pour un arbre qu’on coupe, on peut dire son âge en fonction du nombre de lignes. On a fait parler le faciès de chaque pièce grâce à des examens morphologiques, à l’œil ou à la loupe binoculaire », détaille Laurent R., un des experts du laboratoire métallurgique Cetim, requis par la justice. « Les dégradations et l’oxydation de l’éclisse, tout ça ne s’est pas fait en une fois. Il a fallu du temps et une répétabilité de mouvement pour arriver à ce résultat. En revanche, ces examens ne permettent pas de déterminer quand les boulons ont rompu et s’ils étaient toujours là le 12 juillet 2013 », a-t-il expliqué. Pour étayer ses propos, l’expert a réalisé quelques démonstrations sur l’éclisse extérieure, pleine de suie, qu’il a déposée sur le bureau de la présidente. L’occasion pour la vingtaine d’avocats de s’approcher et de scruter à tour de rôle la pièce centrale de ce drame.
Une affirmation néanmoins contredite par deux autres experts, Pierre H. et Michel D. qui, dans leur rapport et à nouveau face aux magistrats, déclarent que les « vis étaient absentes depuis longtemps ». Il est question ici de la vis et du boulon du trou numéro 3 de l’éclisse. Selon les deux hommes, qui fondent leur analyse sur les photographies qui leur ont été transmises pendant l’enquête, il n’y aurait aucune marque de brillance dans cette zone, ce qui signifierait qu’aucun boulon n’était serré à cet endroit depuis au moins une quinzaine de jours. Des affirmations qui ont fait bondir les avocats de la défense. Ces derniers ont demandé à sortir à nouveau l’éclisse extérieure des scellés pour prouver que des traces étaient bel et bien présentes autour du trou numéro 3. Une absence d’oxydation et de corrosion qui, selon eux, prouverait qu’un boulon a bien été installé ici.
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Oxydation, brillance, rupture brutale ou par fatigue… Des termes un peu barbares pour les néophytes et des explications qui laissent parfois le tribunal dubitatif. Car entre les boulons, les fûts, les vis, l’âme et l’éclisse : il y a de quoi perdre le fil des débats. Surtout que le débat s’est également tourné vers la responsabilité des agents de la maintenance. Au détour de ces échanges, certains experts ont laissé entendre qu’ « une surveillance défaillante des agents » pourrait également être à l’origine de l’accident. En effet, selon les témoignages de quelques passagers, de Pierre H. et Michel D., un bruit spécifique et un mouvement latéral étaient régulièrement observés lors du franchissement, « bien avant le sinistre ». « Cela durait depuis plusieurs années, peut-être que par habitude cela n’était plus signalé, je ne sais pas. Mais certains détails, et notamment la liberté de mouvement des pièces, auraient dû être vus et révisés par les agents », ont commenté Pierre H. et Michel D. lors de leur audition.
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Un aspect et une éventuelle responsabilité que le tribunal doit étudier dès ce lundi 9 mai.