Les hommes préhistoriques qui vivaient dans la région il y a près de 20 000 ans sont connus sous le nom de Magdaléniens.
Corbeil-Essonnes ressemble à la Sibérie. De grands troupeaux de rennes et de chevaux sauvages déambulent sur cette immense plaine, évitant soigneusement les derniers lions qui sévissent dans la région. Sur les bords de la Seine, au niveau du quartier des Tarterêts, quelques familles humaines survivent autour d’une tente, fabriquant des outils en silex pour chasser et se sustenter. Cette scène n’est pas tirée d’un roman de science-fiction mais s’est déroulée il y a près de 20 000 ans. Nous sommes alors à l’époque Magdalénienne.
Lundi 23 août 2019, voilà bien longtemps que les rennes ont déserté l’Île-de-France. Le campement, en revanche, est toujours bien là. Enfoui à quelques mètres dans le sol et conservé par les alluvions de la Seine. Pour le retrouver et en percer tous les mystères, une équipe d’archéologues de l’Inrap (Institut national de recherches archéologiques préventives), du CNRS et de l’Université Paris 1 a pris possession des lieux et fouille méticuleusement la zone depuis le début de la semaine. Et cet espace de 1700 m² baptisé Tarterêts III (car il succède à deux opérations similaires pratiquées dans les années 70, voir encadré) promet de nous apprendre beaucoup sur la Préhistoire. Son objectif principal : permettre de mieux comprendre l’organisation des groupes humains qui vivaient en bord de Seine à la fin de la dernière ère glaciaire.
Lames en silex et ossements d’animaux
Au fond d’une tranchée d’une centaine de mètres carré, les archéologues s’affairent. Bottes aux pieds et casque sur la tête, le tableau ressemble fort à des ouvriers sur un chantier de construction, d’autant qu’une pelleteuse trône au bout des 100 m² d’espace de fouille déjà ouvert. C’est en regardant de plus près les aspérités qui dépassent du sol que le Howard Carter qui sommeille en nous peut commencer à s’éveiller. « Nous avons trouvé des silex taillés, explique Ludovic Mevel, archéologue au CNRS. La plupart du temps, il s’agit de lames qui servaient à chasser, une fois fixées sur leurs sagaies. Nous espérons également trouver des traces de foyer, sur lesquels ces chasseurs-cueilleurs faisaient du feu, ainsi que des ossements d’animaux, ce qui est nettement plus rare et nous permettraient d’effectuer une datation au Carbone 14. »
Ce n’est pas un hasard si le chantier se trouve être un vivier foisonnant de traces préhistoriques. Sa découverte en 2012 n’a d’ailleurs pas été une immense surprise. « Depuis les années 70, nous savons que Corbeil-Essonnes et plus particulièrement le quartier des Tarterêts était un lieu de passage pour ces hommes préhistoriques, explique Cécile Ollivier-Alibert, archéologue à l’Inrap. En 2012, suite au lancement d’un projet de construction d’un entrepôt, nous sommes venus effectuer ce que l’on appelle une fouille préventive, à environ 2m60 de profondeur. Les tests se sont avérés concluants avec la présence de tous ces fragments du passé, c’est pourquoi il a été décidé de lancer une « fouille programmée ». »
Trois semaines de fouilles par an
Quelques années ont passé, et les fouilles préventives se sont donc transformées en fouille programmée. 1700 m² de terrain à disposition de l’équipe d’archéologues, pour une durée de 4 ans. Un luxe qui n’a pas toujours été possible. « Chaque opération de ce genre est un petit miracle, sourit Jean-Marc Gouedo, conservateur en chef du Patrimoine à la Drac (Direction régionale des affaires culturelles) d’Île-de-France, et lui-même archéologue. Il faut tout d’abord se remettre dans le contexte de l’époque. Sur tout le territoire de la France, il n’étaient que quelques dizaines de milliers de Magdaléniens. Les trouver n’est pas chose facile. Pour passer d’une fouille préventive à une fouille programmée, il faut ensuite les circonstances favorables à une installation au long cours. Dans les années 70, les recherches à Corbeil-Essonnes étaient des « fouilles de sauvetage » avec seulement deux mois pour travailler. » Le terrain vague coincé entre la Seine, les logements sociaux, la place du marché et la Francilienne représente donc une bonne opportunité pour prendre le temps de la réflexion à chaque étape des recherches.
Mais qui dit temps long ne dit pas empressement. Ainsi, les fouilles « effectives » ne dureront que sur des périodes de… trois semaines, chaque année. « Les séquences de fouilles ne sont pas très longues et se déroulent souvent l’été, note Ludovic Mevel. Traditionnellement, il s’agit de la meilleure période car les étudiants peuvent venir aider à la fouille, bénévolement. Même si dans ce cas de figure, nous avons opté pour une équipe resserrée et expérimentée » Sans compter le fait qu’il est « contre-productif de ramener beaucoup de matière à la surface s’il faut ensuite avoir 25 années d’études à fournir », insiste Elisa Caron-Laviolette, doctorante à l’Université Paris 1.
Ne reste qu’à attendre quelques années pour en apprendre davantage sur ces Magdaléniens et leurs coutumes. Et pourquoi pas sur leurs ancêtres ? En effet, en creusant encore un peu plus loin, il n’est « pas impossible » de trouver des traces… d’hommes de Neandertal.
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Les Tarterêts, terre d’archéologie
Ce n’est pas la première fois que des fouilles archéologiques se déroulent dans le quartier. En « surveillance archéologique » depuis les années 50 et la découverte de silex par les employés d’une briqueterie, c’est finalement en 1969 que les travaux d’aménagement de la Francilienne forcent les archéologues à effectuer une « fouille de sauvetage ». En deux mois, les équipes de l’époque parviendront à ramener à la surface de nombreux silex taillés ainsi que des traces de foyer. Baptisés Tarterêts I et Tarterêts II, ces chantiers ont représenté une avancée importante dans la compréhension de la vie des Magdaléniens. Plus ancien encore, la découverte de silex et de bois de cerf, exposés à la fin du 19e siècle dans l’ancien musée Saint-Jean de Corbeil-Essonnes. Suite à la disparition du musée et aux différentes guerres, ces pièces ont d’ailleurs… disparu. Une situation qui ne risque pas d’arriver dans ce nouveau Tarterêt III, chaque pièce découverte étant enregistrée et suivie par les services de l’Etat.