« Le train a déraillé juste devant mon bureau » – Procès de la catastrophe de Brétigny : Episode 2

Les deuxièmes et troisièmes jour du procès de la catastrophe ferroviaire de Brétigny-sur-Orge ont été très largement consacrés aux prévenus et notamment à Laurent W., seul prévenu physique à comparaître devant le tribunal judiciaire d’Evry-Courcouronnes.

Il n’aura pas fallu longtemps pour que le tribunal judiciaire d’Evry-Courcouronnes regagne son calme. Passés la légitime émotion et l’hypermédiatisation du premier jour de procès, l’immense salle des pas perdus a rapidement retrouvé de son flegme habituel. N’y subsistent qu’une poignée d’équipes de télévision, répétant consciencieusement leurs lancements et à l’affût des interruptions d’audiences qui permettent la prise d’images.

A l’intérieur de la salle d’audience, justement, l’affluence a également été revue à la baisse. Une unique salle suffit désormais à accueillir l’ensemble du public, puisqu’ils ne sont plus que quelques dizaines de victimes à avoir fait le déplacement. Il faut dire que ces premiers débats sont complexes. Arides, même. Au cours de ces deux premiers jours de procès, réservés à la présentation des prévenus, les deux personnes morales ouvrent en effet le bal.

Des premiers débats arides

« Je ne peux qu’imaginer la peine immense des victimes, de leurs familles et de leurs proches, entame le représentant de la SNCF Réseau (anciennement Réseau ferré de France, à l’époque de la catastrophe) dans son propos liminaire. Je vais contester les fautes reprochées à la RFF, mais les sentiments sont sincères : ce drame a été un choc dans l’entreprise. »

Suivront pendant une journée et demi des schémas, des organigrammes hiérarchiques (parfois kafkaïens), diverses conventions, textes de lois et même des vidéos de l’INA. Il y est question de l’histoire du réseau ferré français, de financement, de dettes structurelles, d’attributions opérationnelles et d’acronymes à la pelle. Un matériau pour le moins opaque pour qui n’est pas spécialiste ferroviaire, et qui semble parfois bien éloigné de la catastrophe du 12 juillet 2013. Mais l’objectif est bien là : se défaire du contexte pour ne plus y revenir par la suite. Et se plonger entièrement sur l’accident en lui-même.

 

Après un bref rappel des casiers judiciaires des deux personnes morales – l’occasion de se pencher particulièrement sur celui de la SNCF, qui porte déjà 25 mentions dont 14 pour homicides involontaires, la moitié concernant ses salariés – Laurent W. s’avance à la barre. Il est le troisième prévenu. L’ancien responsable de la sécurité des voies à Brétigny, dernier cadre à avoir effectué une tournée d’inspection quelques jours avant le drame. Vêtu de son immuable chemise bleue et de ses lunettes rondes, il s’exprime avec aisance.

Répondre aux questions « de manière libre et honnête »

« Je suis très ému de me présenter devant vous et je le serai à chaque jour du procès, commence t-il. Cette catastrophe qui n’aurait jamais dû se produire est ancrée dans ma tête et il ne se passe pas un seul jour sans que j’y pense. C’est pourquoi je répondrai aux questions de manière libre et honnête. » Le sujet n’est pas – encore – aux faits, mais plutôt à la personnalité du prévenu. Les mains posées aux extrémités de la barre, très dissert voire enthousiaste à certains moments, il se plie volontiers à l’exercice.

Laurent W. est le seul prévenu physique dans le procès.

On découvre ainsi le parcours somme toute classique de ce fils de chimistes de la région lyonnaise. « Passionné d’électrique« , il se tourne vers une école d’ingénieur publique. C’est dans ce cadre qu’il fera son entrée à la SNCF, d’abord comme stagiaire puis très vite embauché dans le domaine des voies, pour lequel il a « un coup de cœur« . « Je trouvais les métiers « voies » plus manuels, plus physiques, avec des équipes plus nombreuses, explique t-il. Avoir un impact fort sur le réseau me passionnait. » Un an supplémentaire d’alternance et de formation plus tard, le voilà intronisé à son premier « vrai » poste : assistant sécurité, à Juvisy-sur-Orge. Nous sommes alors à l’automne 2012 et, à 23 ans, le jeune cadre a deux magasiniers sous ses ordres.

« Je suis arrivé comme un cheveu sur la soupe »

Mais la situation ne dure pas longtemps. Au tout début de l’année 2013, Laurent W. change de poste. Suite à un remplacement interne qui n’aboutit pas, il accepte la fonction de dirigeant de proximité, en charge notamment de la sécurité ferroviaire, à Brétigny-sur-Orge. S’il s’estime à l’époque satisfait de ce transfert, le passage de relais avec son prédécesseur se déroule avec difficulté. « Je suis arrivé comme un cheveu sur la soupe, qui plus est pendant une semaine de neige, avec tous les problèmes que cela comporte« , explique t-il à la barre.

Sans compter la nouvelle charge de travail. Car ce ne sont plus deux personnes que le tout jeune cadre doit gérer. Mais une vingtaine. « C’était un défi pour moi, reconnaît-il. Je m’y attendais déjà, mais j’ai tout de même été surpris par la difficulté du travail« . Un état d’esprit qui transparaît – c’est peu de le dire – dans ses échanges de SMS de l’époque, que le tribunal n’a pas manqué de soumettre aux débats. « C’est un boulot très dur physiquement et mentalement, écrit-il début février 2013. J’ai pas beaucoup de temps pour moi, je me réveille à 5h50, je rentre chez moi à 19h45 et je vais me coucher à 21h pour tenir le coup. Le week-end par contre, je me la mets toujours, la bringue c’est ma vie !« . « Depuis (sa prise de fonction, ndlr) j’en chie grave. Je gère 21 gars et 50km de voie« , envoie t-il à la fin du même mois.

Puis vient le jour de l’accident. Le 12 juillet 2013, Laurent W. ne travaille pas. Il est en vacances dans le sud depuis quelques jours. « Quand je suis alerté de l’accident, ça me paraît normal de revenir immédiatement. J’ai fait ce que j’ai pu pour aider à la remise en état du réseau et j’ai même voulu annuler la suite de mes vacances. Mais on m’a fortement incité à partir. Je suis donc allé en Irlande comme prévu« .

« Peu de candidats » pour prendre sa place suite à la catastrophe

De retour de congés, et après avoir constaté que son ordinateur avait été dérobé à son bureau (l’un des éléments troubles de l’affaire, sur lequel le tribunal a indiqué vouloir revenir plus tard dans le procès, ndlr), on fait de nouveau comprendre au jeune cadre qu’il serait bon de changer de poste d’affectation. « C’était dur, je le vivais comme un échec. D’autant que la manière était très mal amenée ». En témoigne un autre SMS, envoyé en septembre suite à un rendez-vous professionnel, dans lequel il indique qu’il « serait dégoûté de prendre du sursis pour cette boîte de merde ». Laurent W. finit malgré tout par accepter de partir, encouragé par l’ambiance devenue pesante sur son lieu de travail.

Après un appel à candidature pour prendre sa place à Brétigny-sur-Orge, annonce qui « n’a pas attiré beaucoup de candidats« , précise le prévenu, provoquant quelques rires nerveux dans l’auditoire, un collègue finit par « se sacrifier« . Le cadre s’en va donc vers Villeneuve-Saint-Georges puis la gare de Lyon, avant de quitter la SNCF en 2019 pour entrer dans une entreprise de caténaires, dans la région lyonnaise. « Ca fait neuf ans que je vis cette procédure, conclut le prévenu. A chaque fois que je fais le moindre geste, je pense à cette procédure. Ca me suit. Ca me suivra toute ma vie. Ces neuf années ont été lourdes et je pense en permanence à l’impact qu’a eu ce déraillement. »

« Vous sentez-vous coupable mais pas responsable ? Responsable mais pas coupable ?« , interroge la présidente. « On se sent responsable moralement, le train a déraillé devant mon bureau, répond Laurent W. Je n’étais pas là ce jour-là, mais si j’avais été là, j’aurais vu le train dérailler devant ma fenêtre. Je n’ai pas mis toute cette ferveur au travail pour vivre ce genre d’événements. »

 

EPISODE SUIVANT → 

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Retrouvez ici l’intégralité du suivi du procès de Brétigny-sur-Orge
Episode 1 : « Le temps du bonheur suspendu se brise, s’explose »
– Episode 2 : « Le train a déraillé juste devant mon bureau »

 

 

Robin LANGE
Robin LANGE
Journaliste dans le nord de l'Essonne. Il traite notamment les sujets de Paris-Saclay.