Le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) de Saclay n’ouvre que rarement ses portes au public. Pour découvrir et vous donner un aperçu de la diversité des missions qui y sont menées, le Républicain vous propose un petit voyage au cœur de ce haut lieu de la recherche scientifique, technique et industrielle.
Episode 1 : L’INB 72, voyage au terminus des déchets radioactifs du CEA de Saclay.
Episode 2 : Iseult, le super-aimant qui peut révolutionner la recherche sur le cerveau.
Episode 3 : Satellites, matière noire et Salle Blanche : à la conquête de l’espace et de nos origines
Episode 4 : Quel avenir pour les imprimantes 3D ?
Deuxième épisode de la série sur le CEA de Saclay à Neurospin, l’infrastructure dédiée à la recherche sur le cerveau, qui accueille depuis 2017 l’aimant le plus puissant au monde pour l’IRM humain.
Allongez-vous et visualisez votre corps. A l’intérieur, des milliards d’atomes s’épanouissent et se lient en molécules, essentiellement d’eau. Imaginez à présent être plongé au centre d’un gigantesque aimant circulaire. Irrésistiblement attirés, vos atomes d’hydrogène s’alignent grâce à ce nouveau champ magnétique, pendant qu’à intervalles réguliers, de courtes ondes radio viennent les exciter. Dans une salle à côté de vous, des
techniciens traitent les données reçues sur leur ordinateur. Au bout de quelques minutes, une « photographie » de votre cerveau est dévoilée. A l’image, d’éventuelles lésions, inflammations ou tumeurs invisibles sur une radio classique. Sans aucune douleur, vous venez de passer une IRM. Depuis 2017, Neurospin, le département de recherche sur le cerveau humain du CEA de Saclay, accueille ce qui est en passe de devenir l’aimant le plus puissant de la planète en matière « d’Imagerie par Résonance Magnétique » (IRM) pour l’homme. Son petit nom : le projet Iseult.
L’aimant de tous les records
Si le mastodonte de 132 tonnes ronronne actuellement au rez-de-chaussée de Neurospin, sous l’œil averti de ses testeurs et d’une batterie d’ordinateurs, son histoire débute en fait au début du siècle. Au début des années 2000, la France et l’Allemagne se lancent en effet un défi commun : construire ensemble le plus performant des aimants destinés à l’IRM d’un corps humain. Pour mener à bien cette mission, co-financée par Bpifrance, et ainsi bénéficier d’une précision d’image jamais atteinte dans la recherche sur le cerveau humain, l’objectif est aussi clair que complexe à mettre en place. Loin des machines habituellement disponibles dans les hôpitaux qui oscillent entre 1,5 et 3 Tesla (T), Iseult devra produire un champ magnétique de 11,7 T.
Si cette valeur ne vous évoque pas grand chose, retenez que plus le nombre de teslas est élevé, plus l’image qui sortira de l’IRM sera de qualité. C’est peut-être un détail pour vous, mais cela veut dire beaucoup pour le monde scientifique : il s’agit tout simplement du record pour un aimant d’IRM de cette taille destiné à l’homme. Preuve de l’exploit en marche, seuls deux projets similaires sont à l’étude sur la planète, avec un peu de retard sur Iseult. L’un en Corée du Sud, l’autre aux Etats-Unis.
De Belfort à Corbeil-Essonnes, en passant par Rotterdam
Tout comme Rome en son temps, un aimant de cette taille et de cette puissance ne s’est pas construit en un jour. Au total, sept années de travail ont été nécessaires pour assembler les 170 « double-galettes » de conducteurs en niobium titane (un matériau qui devient « supraconducteur » à basse température, nous y reviendrons) qui composent l’aimant. Pour maintenir une homogénéité parfaite, la marge d’erreur pour l’assemblage des galettes est infime : un dixième de millimètre. Pour assurer la sécurité des usagers, des bobines placées aux extrémités maintiennent le champ magnétique ainsi développé dans l’aimant lui-même. Enfin des gradients, fournis par le partenaire industriel allemand du projet, Siemens, permettent de localiser les points d’intérêt et restituer les images en trois dimensions. Résultat de ce montage : une machine de 5 mètres de diamètre et de 5 mètres de longueur, disposant d’un tunnel de 90 cm de diamètre en son centre.
Pour juger de la sensibilité de l’aimant, jetons un œil à Google Maps. Entre le bâtiment Neurospin et Belfort, où l’aimant a été fabriqué par les équipes d’Alstom, l’application indique un trajet d’environ cinq heures. Pour arriver à bon port, Iseult aura mis de son côté trois semaines. De Strasbourg à Corbeil-Essonnes en passant par Rotterdam, au rythme d’un camion de 50 mètres de long puis d’une balade fluviale sur le Rhin et la Seine, à bord d’une péniche. Manière d’éviter toute vibration superflue qui aurait pu mettre le projet en péril.
Retour à Neurospin, en 2020. Et plus précisément au sous-sol du bâtiment. Après la salle de pilotage et ses ordinateurs, nous voici dans la salle des machines du paquebot Iseult. Une colonie de tuyaux de toutes tailles s’y déploie le long de couloirs aux murs nus, dans un cadre pour le moins austère. Le ronronnement discret du rez-de-chaussée laisse maintenant place à un rugissement perpétuel, provoqué par l’usine cryogénique, qui permet de maintenir l’IRM à très basse température en permanence. « Il faut constamment refroidir l’aimant pour que le courant électrique puisse circuler sans aucune résistance, c’est ce qu’on appelle la supraconductivité, explique Lionel Quettier, chef de projet sur l’aimant Iseult. Pour cela, on utilise de grandes quantités d’Hélium qui, à une température proche du zéro absolu (dans ce cas un peu moins de 270 degrés Celsius, ndlr), devient liquide. »
Loin de la dose nécessaire pour gonfler un ballon, ce sont ici des milliers de litres d’hélium qui sont nécessaires au bon fonctionnement du super-aimant. Un enjeu de stockage mais aussi financier, puisque l’hélium se négocie autour d’une quinzaine d’euros par litre. A ce prix-là, on ne gaspille pas, comme le prouve la dernière salle avant de remonter sur le pont, occupée par un grand « sac » à l’allure de canot de sauvetage géant, qui récupère tout l’hélium échappé des IRM du bâtiment, Iseult compris.
A l’issue de ses tests de champ magnétique, l’IRM Iseult promet une avancée notable dans la compréhension de notre cerveau. Maladie d’Alzheimer ou de Parkinson, schizophrénie, autant de domaines qui sont susceptibles, grâce aux recherches menées sur l’appareil, d’être à terme mieux appréhendés. En attendant les premiers volontaires humains qui devraient s’installer d’ici quelques années, la machine à IRM doit encore augmenter être testé sous toutes les coutures pour fonctionner ensuite en permanence à 11,7 teslas, champ nominal qu’il a déjà atteint en juillet 2019. Mais si les humains devraient bientôt défiler pour aider la recherche médicale, le tout premier sujet d’étude d’Iseult sera pourtant dépourvu de bras, de jambes et même de cerveau. En effet, comme le veut la tradition, l’appareil sera inauguré avec l’étude… d’un fruit. La perspective de délicieuses images.
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L’imagerie par résonance magnétique : une technique qui évolue
Pour mieux voir à l’IRM, il ne s’agit pas seulement de construire d’énormes machines. De nouveaux problèmes physiques accompagnent ces très hauts champs, et se manifestent par des images inhomogènes (zones d’ombre, pertes de contraste…). A ce titre, une équipe du CEA a inventé une méthode de contrôle des spins, dite des « Kt-points », qui supprime les artéfacts d’inhomogénéité du champ radiofréquence. Cette technologie a été licenciée par le CEA à Siemens, leader mondial de la production des IRM, ce qui constitue une grande première en
France.
Egalement en jeu, le recours à des algorithmes et à l’Intelligence Artificielle pour aider à mieux « lire » et traduire les signaux en images. Là encore, le CEA se distingue puisqu’une de ses équipes a terminé à la seconde place d’une importante compétition internationale organisée par Facebook, AI Research et l’Université de New-York.