Le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) de Saclay n’ouvre que rarement ses portes au public. Pour découvrir et vous donner un aperçu de la diversité des missions qui y sont menées, le Républicain vous propose un petit voyage au cœur de ce haut lieu de la recherche scientifique, technique et industrielle.
Episode 1 : L’INB 72, voyage au terminus des déchets radioactifs du CEA de Saclay.
Episode 2 : Iseult, le super-aimant qui peut révolutionner la recherche sur le cerveau.
Episode 3 : Satellites, matière noire et Salle Blanche : à la conquête de l’espace et de nos origines
Episode 4 : Comment fonctionnent les imprimantes 3D ?
Premier épisode de la série avec une visite de l’INB 72, la zone de gestion des déchets radioactifs solide du CEA de Saclay.
Depuis sa découverte en 1896 par le physicien Henri Becquerel, la radioactivité impressionne. De la centrale nucléaire de Springfield à la catastrophe de Tchernobyl en passant par le trèfle radioactif, le phénomène a acquis au fil du temps une aura presque paranormale. Pourtant, la radioactivité fait partie intégrante de nos vies. Electricité, radiographies médicales ou encore datation du patrimoine historique, nombreux sont les domaines qui usent des substances radioactives pour le bien commun. Mais une fois exposés au rayonnement ionisant, que deviennent les éléments en contact avec ces substances ? Ces gants, tenues et divers bouts de métal devenus dangereux pour l’homme ?
Pour répondre à cette question, plongez au cœur de l’Installation nucléaire de base numéro 72, la zone de gestion des déchets radioactifs solides du CEA de Saclay. Là où est assuré le traitement, le conditionnement et l’entreposage des déchets de haute, moyenne et faible activité des installations du centre de Saclay et où sont également entreposées les matières et de déchets anciens en attente d’évacuation.
Dosimètre et bras télémanipulateurs
L’INB 72, c’est avant tout beaucoup de portes. A badge, coulissantes ou même doublées, elles n’obéissent qu’à peu d’élus. Une impression de sécurité renforcée qui apparaît avant même de franchir le seuil du bâtiment, l’accès aux installations étant très sérieusement contrôlé. Une fois identifiés et équipés de la combinaison et de la casquette réglementaire, un appareil insolite fait son apparition : le dosimètre. Un petit instrument de mesure qui donne, en temps réel, la dose radioactive reçue au cours de la visite. Fidèlement accroché à la blouse, il suivra l’intégralité de la visite, s’assurant de la bonne santé de son porteur. Ainsi armés, se présente la première salle, celle de la réception des déchets.
Fort heureusement, la sécurité a évolué depuis le temps où Marie Curie manipulait de l’uranium à mains nues. A l’INB 72, les déchets issus de toutes les installations du CEA arrivent directement dans des fûts en acier, dans une pièce dédiée séparée des travailleurs par une épaisse couche de béton. Bien entendu, hors de question pour les employés d’entrer en contact direct avec ces fûts. Pour bloquer la dispersion de la radioactivité et transformer les fûts et leur contenu en petites poubelles de béton, les techniciens disposent de bras télémanipulateurs. Sorte de machine à l’aspect futuriste qui réplique, de l’autre côté d’une épaisse vitre, les gestes des humains. Une fois ces « poubelles » créées, elles sont compressées pour prendre l’aspect de galettes, empilées avant d’être à leur tour placées dans une stratifiée puis recouvertes d’une couche de résine. La poubelle finale est prête : c’est le colis F.
A ce moment de la visite, le dosimètre s’emballe et émet une série de bips. En recevant un message un peu trop près de l’appareil, un téléphone portable a créé une interférence. Une situation bien connue qui entraîne immédiatement l’apparition d’un technicien que l’on a l’occasion de croiser à de nombreuses reprises dans l’INB : un membre du SPR, le service de protection contre les radiations. Encore une fois, on ne plaisante pas avec la sécurité des personnes qui passent par le site. « Malgré les apparences, on reçoit ici nettement moins de doses de radioactivité que lors d’une visite chez le dentiste pour faire une radio, souligne d’ailleurs Magaly Gayalin, responsable d’exploitation de l’INB 72. Sans compter la présence sur le site de pompiers spécifiquement formés. »
Une fois l’incident clos et enregistré, direction le clou du spectacle : le hall des puits.
Des déchets entreposés… sous terre
Au gré de quelques détours avant d’accéder à cette dernière salle, l’on peut faire la rencontre d’une gigantesque bétonnière et sa salle de commande à l’ambiance sonore assourdissante, d’une salle où sont entreposés les nombreuses « poubelles jaunes » de la base, contenant les déchets à faible activité, ou encore une piscine remplie d’eau, destinée au stockage d’étuis de combustibles. L’occasion également d’apprendre que la ventilation du lieu est essentielle et explique en partie la cohorte de portes et de sas régulièrement empruntés. Avant d’entrer dans la dernière salle, un message est diffusé dans des haut-parleurs disposés dans tout le site. L’annonce fait mention d’une section prête à être utilisée et qui, par conséquent, restera fermée aux personnes extérieures pour un moment. Pas de quoi compromettre l’accès à l’immense hangar qui accueille les derniers déchets.
Se présente un sol à l’allure de jeu de Twister géant. Au sol, une constellation de cercles rouges et oranges. La destination finale des déchets irradiants. Car ces ronds de quelques centimètres de diamètre cachent leur véritable utilité… sous terre. Ce sont en fait des puits, de 7,5 mètres de profondeur. C’est là que sont plongés et stockés temporairement (on parle « d’entreposage ») les déchets à haute activité. Pour les y placer, un gigantesque pont articulé -contrôlé par un panneau baptisé le Château- se dresse à quelques mètres au-dessus des têtes. 136 puits sont ainsi disponibles, qui doivent être vérifiés ainsi que leur contenu tous les dix ans.
La visite prend fin avec un nouvel appareil à l’apparence étrange : le contrôleur mains-pieds. En insérant à l’intérieur les membres en question, la machine -au terme d’un compte à rebours pour le moins inquiétant pour un néophyte- contrôle le niveau de contamination en sortie de site. Une jauge estimée satisfaisante pour cette fois-ci, à en juger l’accord de sortie prononcé en notre faveur.
Tout comme cette visite, l’INB n°72 du CEA de Saclay vit ses derniers instants. A l’heure où le démantèlement du site a d’ores et déjà commencé (lire encadré), l’ensemble des puits et des poubelles qui y sont stockés devront progressivement prendre la direction d’autres centres de gestion des déchets nucléaires. Mais, preuve que le Temps est bien relatif à l’échelle du nucléaire, l’installation traînera quelque peu avant d’oublier toute trace de son passé radioactif : au total, l’opération devrait durer une trentaine d’années.
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Fin de vie pour l’INB 72
Le CEA s’étant engagé en 2007 à stopper le traitement des déchets radioactifs sur le site Saclaisien dans les dix ans, l’évacuation définitive des déchets irradiants et des combustibles vers les filières adéquates est d’ores et déjà en cours, en vue d’un démantèlement complet du site.
Concrètement, le démantèlement de l’installation se déroulera en trois phases, pour une opération qui prendra au total une trentaine d’années, à compter de la parution du décret (prévu en 2022). Une phase de travaux préparatoires tout d’abord, avec notamment l’évacuation des déchets, puis le démantèlement en lui-même avant de terminer par l’assainissement final des structures et des sols. A l’issue de ce processus, le site pourra être utilisé pour d’autres activités, l’ensemble des structures restant en place à l’exception d’un des cinq bâtiments et de la cheminée de rejet des effluents, qui seront détruits. L’impact sur la santé sera d’ailleurs considéré comme négligeable, la dose efficace annuelle, qui évalue l’exposition d’une personne aux rayonnements, étant prévue comme 20 000 fois plus faible que la limite réglementaire d’exposition au public (1 mSv par an). A noter enfin que, pendant les opérations de démantèlement et jusqu’en 2025, le site pourra continuer à accueillir ponctuellement des déchets.