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    « La responsabilité morale de la SNCF est infinie » – Procès de la catastrophe de Brétigny : Episode 3

    Au quatrième jour de procès de la catastrophe ferroviaire de Brétigny-sur-Orge, le tribunal a entendu le premier témoin : Guillaume Pepy, président de la SNCF à l’époque des faits.

    « Vous avez souligné avoir immédiatement pensé à la transparence, en répondant aux médias quelques minutes après l’accident. Ne pensez-vous pas que vous auriez pu vous focaliser davantage sur l’information aux victimes ? Ma cliente n’a appris le décès de son mari que le lendemain de l’accident, à la télévision« . La question de l’avocate de l’une des parties civiles fait mouche. Et l’homme interrogé, Guillaume Pepy, patron de la SNCF au moment de la catastrophe de Brétigny-sur-Orge, peine à retenir ses larmes. Il craque l’espace de quelques secondes. « Si vous souhaitez une suspension de séance…« , enchaîne la présidente du tribunal. « Non, non, se reprend l’ancien dirigeant. Cette question est extrêmement douloureuse mais ne concerne pas la SNCF, cela concerne l’Etat. Il n’est pas question pour le transporteur de publier une liste des victimes« .

    Cette scène se déroule au quatrième jour de procès. A cet instant, cela fait près de trois heures que Guillaume Pepy est auditionné par le tribunal, en qualité de témoin. Et c’est peu dire que cette déposition était attendue. A peine 24h après le drame, en juillet 2013, le dirigeant avait en effet répondu à une conférence de presse improvisée qui avait fait grand bruit. « Je veux le dire avec la plus grande clarté, la SNCF se considère comme responsable, expliquait-il à l’époque. Elle est responsable de la vie de ses clients« .

     

    « La responsabilité morale de la SNCF est infinie »

    Une déclaration qui prend aujourd’hui une toute autre ampleur, à l’heure où la question de la responsabilité pénale de la SNCF est justement au cœur des débats. Neuf ans plus tard, la version du dirigeant s’est d’ailleurs quelque peu édulcorée. « La responsabilité morale de la SNCF est infinie, car elle est responsable de la vie des voyageurs, concède Guillaume Pepy. Je n’ai en revanche aucune opinion sur la responsabilité pénale. Ca, c’est au tribunal d’en juger« .

    L’audition de Guillaume Pepy s’est déroulée au quatrième jour du procès.

    Mais alors, comment expliquer ses déclarations « à chaud », à l’époque des faits ? Et surtout, pourquoi avoir évoqué des « problèmes de maintenance » dans le feu de l’action ? Pour répondre à ces questions, l’ex-dirigeant insiste sur le contexte forcément particulier de ses prises de parole. « Lorsque la catastrophe est intervenue, j’étais dans mon bureau. Quatre personnes y entrent, puis cinq, puis six. Je reçois, par bribes, l’information selon laquelle il s’est passé quelque chose de grave. Je trouve immédiatement un moto-taxi et arrive à Brétigny vers 17h50 (soit moins d’une heure après l’accident, ndlr). Là, on me signale l’éclisse qui se serait retournée et qui pourrait être la cause de l’accident, tout le monde est sidéré. Je rentre à mon bureau à deux ou trois heures du matin et les experts sont absolument incapables de me donner la moindre explication. Je suis alors dans une complète incertitude« . Plus tard dans son audition, il ajoute : « En revenant du site, la confusion était totale. Cela aurait pu être un attentat, l’œuvre malveillante d’un fou. Pour exclure ces pistes, j’ai eu l’approximation de prononcer le terme de problème de maintenance. J’aurais dû dire problème de voie. Je le regrette. »

    Des écoutes téléphoniques en question

    Si les déclarations de Guillaume Pepy avaient fait grand bruit à l’époque, elles avaient également fait tiquer au service juridique de la SNCF. En témoignent les écoutes téléphoniques produites à l’audience, dans lesquelles des cadres de ce même service s’agacent, parfois dans un langage rude des différentes prises de parole de leur patron de l’époque. « Des dérapages verbaux« , « preuve que la liberté d’expression existe à la SNCF« , euphémise et ironise l’ex-patron, qui ajoute toutefois que la personne en question n’est aujourd’hui plus employée par la société.

    Des écoutes d’autant plus troublantes qu’elles laissent parfois dubitatif sur la bonne volonté de la SNCF. Bien que la société affichait publiquement son souhait de transparence, ces enregistrements téléphoniques peuvent en effet faire planer le doute : les cadres du service juridique donnaient-ils des consignes aux employés de Brétigny, avant leurs auditions par la police ? « J’ai découvert quelques années plus tard le contenu de ces écoutes, commente Guillaume Pepy. Ce sont de grosses bêtises, qui sont graves mais imputables aux personnes en question, ce ne sont pas des instructions de la direction de la SNCF ». Même dénégation après la question d’un avocat des parties civiles, concernant une éventuelle dissimulation d’informations : « Ca aurait été stupide !, répond l’ex-patron. Avec la liberté de parole des cheminots, que l’on peut observer tous les jours, ça aurait tenu une demi-seconde. »

    L’ancien dirigeant de la SNCF se range derrière l’hypothèse de sa compagnie.

    Une chose est en tout cas certaine pour l’ancien président de la SNCF : il n’est pas question de dire que la sécurité des voyageurs a été traitée à la légère. « La sécurité est la seule valeur commune à la SNCF, déclare t-il. Avec les cheminots – c’est connu – tout le reste est disputé. Mais ce sujet fédère tout le monde. C’est l’ADN quotidien« . Pour lui, il ne faut ainsi pas « confondre vieillissement et dangerosité du réseau« . Ce grand âge des infrastructures, de même que les éventuelles failles humaines, ne suffiraient pas selon lui à expliquer la catastrophe. « J’ai acquis la conviction avec l’enquête que dans le secteur de Brétigny, la traçabilité n’était pas bien faite, que l’organisation de la maintenance n’était peut-être pas optimale. Mais cela ne constitue pas un arbre des causes robuste et scientifique. »

    Le tribunal devra trancher

    A l’image de la SNCF, qui rejette l’intégralité des fautes qui lui sont imputées dans ce dossier, Guillaume Pepy se range donc du côté de l’hypothèse des experts de son ancienne société : celle d’une défaillance « imprévisible » du métal même de l’éclisse, la pièce de joint entre les rails qui s’est décrochée et a entraîné le drame. Une opinion que ne partage pas l’accusation, pour qui la cause de l’accident est plutôt à chercher du côté du déficit d’entretien des voies.

    « Les deux hypothèses font débat et ont le droit d’être débattues au procès. Je m’attendais, et j’espérais que l’expertise judiciaire fasse l’unanimité, souligne Guillaume Pepy. Cela m’aurait en quelque sorte soulagé. Nous aurions peut-être été condamnés mais la sécurité aurait été assurée pour l’avenir. Pour que cela ne se reproduise pas. Mais j’ai été surpris que nos ingénieurs, qui n’ont aucune raison de mentir, aient pu faire part de leurs doutes. C’est encore plus angoissant de ne pas savoir. Je ne peux pas trancher, seul le tribunal le peut. »

    Après les quatre heures de déposition de Guillaume Pepy, le tribunal commençait ainsi à se pencher sur le cœur des débats à venir : la si importante « éclisse », et les raisons de son dysfonctionnement. Voilà bien tout l’enjeu des prochains jours d’audience.

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    Retrouvez ici l’intégralité du suivi du procès de Brétigny-sur-Orge
    – Episode 1 : « Le temps du bonheur suspendu se brise, s’explose »
    Episode 2 : « Le train a déraillé juste devant mon bureau »

    Robin LANGE
    Robin LANGE
    Journaliste dans le nord de l'Essonne. Il traite notamment les sujets de Paris-Saclay.